31.10.17

Analyse 11 (2017) : Défaite de l'État islamique et après ?

     Paix et Justice au Moyen-Orient

                                            STRASBOURG, le 31 octobre 2017

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            Défaite de l'État islamique et après ?
      Ce qui va changer au Moyen-Orient

Rappel historique et géopolitique

Le Moyen-Orient et l'Asie Centrale sont, depuis le début du dix-neuvième siècle, les théâtres sanglants de conflits opposant les puissances militaires mondiales et régionales.

Faut-il rappeler que l'enjeu stratégique des puissances militaires est d'assurer la circulation maritime de milliers de navires de marchandises, de pétroliers et de méthaniers, depuis le détroit de Malacca en Asie du Sud-Est jusqu'au détroit de Gibraltar. Via ces détroits hautement stratégiques, le Moyen-Orient représente une région vitale, reliant trois continents : l'Asie, l'Europe et l'Afrique.

Un autre enjeu, et non pas des moindres, est l'immense marché de consommation des pays européens et asiatiques ainsi que les ressources en matières premières et énergétiques dont regorge le Moyen-Orient. Les marchés de consommation civile et militaire s'arrachent, et se conservent, aussi par la guerre.

Avant et après 1979

Avant 1979, les peuples du Moyen-Orient menaient contre les colonialistes Britanniques et Américains une guerre «anticolonialiste» et «anti-impérialiste», rassemblant toute la diversité confessionnelle et ethnique de la société civile. La religion avait une position ambigüe. Elle se méfiait des courants laïques et des différents «ismes» d'inspiration occidentale (socialisme arabe, nassérisme, baasisme, communisme, etc.) qui mobilisaient largement contre l'ingérence occidentale.

Échec des «ismes» occidentaux

Dès les années 1950, le Moyen-Orient fut témoin de l'inefficacité, puis de l'échec, de différentes idéologies de l'émancipation nationale d'inspiration occidentale. La répression des opposants, les coups d'Etat et tueries à répétition des colonels arrivés au pouvoir en Irak, en Syrie et en Libye ainsi que le «nassérisme» et autre «socialisme arabe» en vigueur en Egypte, perdirent définitivement leur prestige lorsque l'armée égyptienne fut écrasée au cours de deux guerres par l'armée israélienne. Le pouvoir égyptien renonça définitivement au «nassérisme», mélange de justice sociale et de respect de la souveraineté politique, au profit du parapluie américain tant décrié.

L'échec des «ismes» occidentaux a permis à l'islam chiite, dépourvu de contamination idéologique occidentale, de remplir le vide et de remporter la Révolution antimonarchiste de février 1979 en Iran. La Révolution iranienne a une forte connotation antioccidentale, en particulier anti-américaine.

Wahhabisme au secours des Etats-Unis

L'idée d'utiliser la religion comme arme idéologique a ensuite été utilisée par les Etats-Unis et ses alliés pakistanais et saoudiens pour s'opposer à l'invasion soviétique en Afghanistan (27 décembre 1979 - 15 février 1989). La guerre aux Russes fut donc organisée sous un label confessionnel : la chasse aux «mécréants communistes». Des écoles confessionnelles furent créées un peu partout au Pakistan, formant des milliers de miliciens talibans (étudiants confessionnels) venus des quatre coins du monde musulman, écoles financées par l'Arabie saoudite et armées par les Etats-Unis.

La victoire des Talibans conduisit à la formation du premier «émirat» islamique réactionnaire, misogyne, inégalitaire, appliquant férocement une charia médiévale, interdisant l'instruction des filles, l'utilisation du téléphone portable, de la télévision, n'hésitant pas à lapider, à couper des pieds, des mains et des bras. Ces atrocités n'ont pas provoqué la colère des puissances tutélaires des Talibans, en particulier celle américaine.

Lorsque les Talibans, par nationalisme (respect de la souveraineté politique), se sont retournés contre leurs parrains, en particulier américains, ces derniers ont décidé d'envahir l'Afghanistan en 2001. En effet, contrairement aux chiites iraniens, les wahhabites et affidés ne sont pas «antiaméricains». Or, au Moyen-Orient, la décolonisation est toujours à l'ordre du jour des nations arabo-musulmanes (saoudienne, yéménite, irakienne, syrienne, libanaise, jordanienne, etc.) et les slogans antiaméricains et anti-israéliens du régime iranien trouvent un écho favorable dans la région.

D'Afghanistan à la Syrie

Victorieux en Afghanistan, les Etats-Unis et leurs obligés régionaux décidèrent d'appliquer à l'Irak et à la Syrie la recette afghane. Des groupes djihadistes, imprégnés de wahhabisme, furent créés, financés et armés par l'Arabie saoudite, le Qatar, le Koweït(1) et la Turquie, transformée en base arrière de l'Etat islamique (EI) qui y disposait de bastions, à l'image d'Adiyaman, ville turque. L'EI y faisait même soigner ses blessés.

Les médias occidentaux (par naïveté ou par soumission aux ordres des ministères des affaires étrangères) ne parlaient que de la guerre de religion «sunnite-chiite», élevant insidieusement les djihadistes au rang de «défenseurs de la liberté» face au régime de Bachar Al-Assad, issu d'une branche du chiisme. Miliciens obscurantistes wahhabites arrivaient du monde entier(2), l'argent et les armes coulaient à flot.

C'était sans compter avec la détermination du régime iranien soutenu par le pouvoir russe, appelé au secours par l'Iran. Ils ont fini par renverser la vapeur et gagner la guerre de Syrie.

Les leçons, les répercussions de la défaite des djihadistes de l'Etat islamique (EI) au Moyen-Orient

Malgré la férocité au combat des djihadistes de l'EI, leurs moyens militaires colossaux (hérités de la déroute de l'armée irakienne), les aides financières généreuses (reçues des monarchies du Golfe Persique), ce qui a marché en Afghanistan a échoué en Syrie et en Irak.
En effet, contrairement aux occupants soviétiques «athées, communistes», l'Iran, drapé de chiisme, mobilise des milices confessionnelles autochtones, «protectrices» de «lieux saints» chiites répartis en Irak et en Syrie.

La défaite de l'EI est également celle du wahhabisme, vecteur idéologique de la diffusion des thématiques obscurantistes et médiévales dont l'objectif est d'empêcher le développement social et institutionnel du Moyen-Orient afin de le maintenir dans un état arriéré, donc dépendant des puissances militaires occidentales. La répercussion de cette défaite se fait déjà sentir quant au statut de la femme en Arabie saoudite qui commence à gagner quelques timides bribes de liberté (droit de conduire, autorisation d'entrer dans les stades, etc.).

L'éclatement de la coalition anti syrienne

La Turquie (menacée par la sédition kurde, soutenue par les Etats-Unis) et le Qatar se rapprochent de l'Iran et la dernière poche de «résistance» en Syrie se fissure à Idlib au Nord-Ouest de la Syrie. C'est l'armée turque (elle avait aidé les djihadistes à conquérir Idlib) qui déploie ses forces pour les en déloger.

Les djihadistes de «Hayat Tahrir Al-Cham» (HTS) issu d'Al Qaida, formés, entre autres, d'ailes jordano-égyptienne et syro-saoudienne règlent leur compte à coup d'assassinats.

L'avenir nous dira si c'est la fin du djihadisme obscurantiste au Proche et Moyen-Orient ?

La défaite de l'EI accentue le reflux de l'influence américaine au Moyen-Orient, renforçant du même coup, celle de l'Iran et de la Russie.

Les Etats-Unis et leurs obligés, d'une part, et l'Iran et leurs alliés, d'autre part, sont désormais les principaux joueurs d'échecs sur l'échiquier moyen-oriental.

  1. Le Koweitien, cheikh Hadjaj Al-Ajmi est l'un des plus célèbres collecteurs de fonds des djihadistes. Il a posté sur son compte Twitter une photo de lui en Syrie, au côté d'Abou Omar Al-Checheni, l'un des chefs militaires de l'EI. (Benjamin Barth - Le Monde du 06 septembre 2014).
  2. Selon le député turc d'opposition (Parti républicain du peuple, CHP) : «des milliers de citoyens turcs seraient partis combattre avec le groupe djihadiste ces derniers mois. Plus de 5000 volontaires.» ( Guillaume Perrier - Le Monde du 1er août 2014). «Volontaires» fanatisés dans les écoles coraniques militarisées ?

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