3.8.13

Analyse 12 (2013): L'islamisme est-il une alternative? En Iran, en Egypte et en Tunisie

Paix et Justice au Moyen-Orient
 STRASBOURG, le 3 août 2013

                
L’islamisme est-il une alternative ?
En Iran, en Egypte et en Tunisie 

L’ère de l’islamisme triomphant a commencé en 1979 avec la victoire de la révolution iranienne et l’instauration de la république islamique, drapée dans sa devise emblématique « ni Est, ni Ouest, république islamique ».

En effet, suite à l’affaiblissement du camp socialiste « athée, mécréant et matérialiste »  et aux crises à répétition du monde capitaliste « amoral, colonialiste et matérialiste », les représentants de la république islamique promettaient l’épanouissement de l’humanité sous les auspices d’un ordre islamique qui restait à définir.

Que constate-t-on 34 ans après la victoire de la révolution islamique ?

Sur le plan économique, un capitalisme ultralibéral- équivalent à celui qui régnait en Europe au dix-neuvième siècle- sans foi ni loi, s’est imposé dans tous les domaines de l’économie nationale. La seule loi qui vaille c’est la « loi de Dieu », celle des intérêts du clergé chiite et des commerçants et industriels du sérail islamique, en particulier les « pasdarans », garde prétorienne du régime, qui ont mis la main sur 30% de l’économie nationale. Ahmadinejad et sa clique étaient les représentants emblématiques de ce capitalisme sauvage, saignant à blanc l’économie nationale, la livrant aux spéculateurs et aux pilleurs qui ont dilapidé des milliards de dollars, en laissant derrière eux des millions de chômeurs et un taux d’inflation frisant les 50%. Parallèlement, dans le but de satisfaire le FMI (Fonds monétaire international), le peu de « socialisme » encore présent dans l’économie iranienne- sous forme de subventions des denrées alimentaires de première nécessité- a été supprimé, créant des millions de nécessiteux et de miséreux au sein de la population.

Sur le plan social, la charia moyenâgeuse a empêché l’évolution moderne de la société. En effet, depuis 34 ans, une dictature misogyne, ennemie jurée des libertés individuelles, de la presse, de la création artistique, des associations civiles, syndicales et politiques, sévit en Iran. Les discriminations religieuses sont monnaie courante. Seuls les fondamentalistes peuvent se présenter aux élections, elles-mêmes supervisées par les instances de sa « majesté le calife ».

Ultralibéral sur le plan économique, adepte d’un capitalisme sauvage, laissant libre cours aux spéculateurs, la république islamique est moyenâgeuse et dictatoriale sur le plan social. Sur ces deux plans, l’islamisme ne peut absolument pas représenter une alternative populaire.

Les peuples des pays arabo-musulmans, qui souffrent souvent de la dictature militaire et d’un ordre social arriéré, observent de près l’évolution de la société iranienne et se rendent compte que l’islamisme n’est pas le bon modèle, leur permettant le progrès économique au service du peuple et l’émancipation sociale.

Des décennies de dictature militaire au Proche et au Moyen-Orient (Egypte, Tunisie, Yémen, Irak, Syrie, etc.) ont réduit au silence la société civile laïque dans les pays arabo-musulmans qui ont vu fleurir des organisations « charitables » religieuses à la sauce « frères musulmans ».

Suite à l’avènement du « printemps arabe », en Tunisie et en Egypte, lesdites « organisations charitables » ont comblé le vide laissé vacant par la déroute des régimes militaires. La société civile a profité également du « printemps arabe » pour s’organiser. Mais, le temps presse et le modèle de société proposé par les organisations laïques se rapproche de celui des pays occidentaux, décrié par les islamistes comme « corrompu, matérialiste », propageant les valeurs des ex-pays colonialistes.

La masse des croyants est sensible au message des islamistes tandis que la couche instruite, minoritaire, du pays ne voit que l’aspect positif de la société occidentale développée, avec ses libertés individuelles et collectives, les libertés de la presse, d’association et de la création.

Les blocages des sociétés égyptienne et tunisienne et la division de la population entre « intégristes » et « modernes », montrent l’absence d’alternative dont souffrent actuellement les sociétés arabo-musulmanes.

Le combat des laïcs contre les intégristes revêt différentes formes et tout porte à croire que l’Egypte est devenue le laboratoire de la transformation sociale dans l’intérêt de l’Occident. En Egypte, les anti-intégristes ont préféré le coup d’état de l’armée- soutien de l’ordre ancien et rempart des multinationales- au régime de Morsi, pourtant élu démocratiquement.

Comme à l’époque de Hosni Moubarak, mais forte du soutien populaire, l’armée massacre les « frères musulmans », transformant Morsi et ses soutiens en victimes. Le camp laïc commence à paniquer et se divise, se rappelant les atrocités du régime militaire contre lequel il s’est battu. Il est fort possible que le camp laïc finisse par se désolidariser de l’armée qui, par souci de stabilité chère aux multinationales et à Israël, ne tardera pas à instaurer l’ordre ancien.

Une autre possibilité suggère qu’après le « colonialisme à visage humain », soucieux des « droits de l’homme » et adepte de l’« ingérence humanitaire », est peut-être venu le temps des « coups d’état à visage humain » où, comme en Egypte, l’armée se porte garante de la démocratie colonialiste, « respectueuse des libertés démocratiques », personnifiées par El Baradai.

Face à l’armée pro-occidentale, respectueuse des accords de Camp David, le risque existe que les « frères musulmans » redeviennent l’alternative, s’ils adoptent une rhétorique anticolonialiste, donc antioccidentale et anti-israélienne. En effet, c’est le seul point sur lequel les islamistes représentent une alternative.

En Tunisie, les islamistes au pouvoir résistent encore. En effet, selon Ghannouchi, président du parti islamiste au pouvoir, « ceux qui refusent la charia peuvent représenter une minorité mais cette minorité a une forte influence, dans les médias, l’économie, l’administration, donc il ne faut pas les négliger » (1)

En attendant, pour désorganiser le camp laïc « minoritaire » farouchement opposé à la charia moyenâgeuse, l’élimination physique de ses représentants-Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi (2)- est à l’ordre du jour. Il est à craindre qu’en Tunisie, malgré la résistance héroïque du camp laïc, l’état islamique s’appuie sur les assassinats politiques pour consolider son pouvoir.

L’avenir nous dira si, face à la résistance grandissante du camp laïc, un « coup d’état à visage humain » sera possible en Tunisie ? Sinon, en l’absence de démocratie à l’occidentale imposée par l’armée, l’«alternative» islamiste se consolidera définitivement avec des assassinats ciblés.


(1)  Isabelle Mandraud- Le Monde du 19 octobre 2012.
      (2) Chokri Belaïd, assassiné le 6 février 2013 et Mohamed Brahmi, assassiné le 25 juillet 2013, par des tireurs à moto.