29.12.11

Analyse 19 (2011)

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 29 décembre 2011

cpjmo@yahoo.fr


Le détroit d’Ormuz et

le message de l’Iran


Depuis samedi 24 décembre 2011, l’Iran organise des manœuvres maritimes au détroit d’Ormuz, en mer d’Oman et au nord de l’Océan indien. Une superficie couvrant 2000 km2. Cette manœuvre militaire maritime est différente des précédents exercices.

Hormis la rhétorique sur la fermeture du détroit d’Ormuz et la propagande anti iranienne que font circuler les médias occidentaux aux ordres, le message envoyé par l’Iran est clair : l’Iran est Le patron du détroit. Une nouvelle puissance régionale qui doit être prise au sérieux.

Les Etats-Unis possèdent l’armée la plus puissante du monde. Mais, dans les circonstances actuelles, ils manquent de volonté politique pour mener une nouvelle guerre d’envergure, à fortiori, contre l’Iran. Le manque de volonté politique des Etats-Unis a créé un vide dans la région. Une brèche dans laquelle s’enfonce l’Iran.

Toutes les études montrent l’étendue de la crise que traversent les Etats-Unis. Parlant de l’impact durable de la guerre d’Irak, lancée en 2003, sur la politique étrangère américaine, Stephen Walt, professeur à l’université Harvard écrit : «nous n’allons plus nous lancer dans des occupations prolongées ni tenter de remodeler la politique intérieure d’un pays.»(1) Selon Howard LaFranchi, journaliste au «The Christian Monitor», «pour la plupart des experts en politique étrangère, les coûts financier et humain de la guerre sont la principale raison pour laquelle les Etats-Unis ne lanceront pas d’invasion similaire dans un avenir proche.»(1)

Pour James Linsay, directeur d’études au Conseil des relations extérieurs, un autre think tank de Washington, «en faisant peser un lourd fardeau sur nos finances, la guerre d’Irak a contribué à créer la situation financière périlleuse dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.»(1)

Conséquences : les Etats-Unis sont contraints de mener des interventions militaires «transhorizon» ou à distance : l’usage de drones ou de missiles lancés à partir de bâtiments de combat. Là encore, la capture, par l’Iran, d’un drone sophistiqué américain RQ-170 Sentinel, laisse supposer que «l’Iran pourrait disposer de technologies d’interception insoupçonnées.»(2)

La propagande occidentale essaie de minimiser sciemment la technologie militaire iranienne. Certes, l’Iran ne peut pas encore rivaliser avec la technologie militaire occidentale. Mais, les faits montrent que depuis la victoire de la révolution islamique en 1979, l’Iran a beaucoup investi dans son industrie militaire et a pu rattraper des décennies de retard technologique.

Selon d’autres experts américains, le véritable test de l’impact de la guerre d’Irak sur la politique extérieure américaine se fera avec l’Iran, et peut-être plus tôt qu’on ne le pense(1). Nous y voilà. L’Iran défie les Etats-Unis dans le détroit d’Ormuz. Son message est clair : vous me cherchez, j’y suis !

Comment vont réagir les Etats-Unis face à ce nouveau «coup» de l’Iran sur l’échiquier moyen-oriental? Il faut rappeler que, par leurs embargos et complots à répétition contre l’Iran, les puissances occidentales ont provoqué l’Iran et accéléré sa réaction offensive.

Pour l’Occident en général et les Etats-Unis en particulier, actuellement il est très difficile d’intervenir militairement contre l’Iran. Les «experts» occidentaux sont unanimes : le déclenchement d’une guerre contre l’Iran conduirait à une grande guerre régionale, ayant des effets catastrophiques sur l’économie mondiale.

Comme nous l’avons écrit plus haut, l’Iran-pourtant parcouru par des crises économiques et sociales et à la veille d’élections boycottées par l’opposition- n’a pas une armée aussi puissante que celle des Etats-Unis. Mais, le régime iranien connait parfaitement les faiblesses et les contraintes financières, politiques et diplomatiques de l’Amérique et en profite pour imposer son jeu, voire son hégémonie au même titre que les Etats-Unis, sur le détroit et en mer d’Oman.

Sur l’échiquier moyen-oriental, l’Iran avance lentement, mais sûrement, ses pions dans la région contre ceux des Etats-Unis et l’on ne sait pas quelle autre alternative qu’une guerre-dans un futur proche ?- en bonne et due forme pourrait l’empêcher de combler le vide laissé par les Etats-Unis au Moyen-Orient. A moins que les Etats-Unis finissent par accepter le nouveau rapport de force qui s’établit actuellement au Proche et au Moyen-Orient et négocient avec l’Iran.

(1) Courrier international- N° 1103-1104 du 22 décembre 2011 au 4 janvier 2012.

(2) Christophe Ayad- Le Monde du 11-12 décembre 2011.

6.12.11

Analyse 18 (2011)

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 06 décembre 2011

cpjmo@yahoo.fr


Que se cache-t-il derrière l’attaque de

l’ambassade britannique à Téhéran ?


Les critiques fusent de partout contre le saccage le 29 novembre 2011 de l’ambassade britannique à Téhéran. Il n’y a aucun doute sur la nature inadmissible d’une telle opération qui rappelle l’attaque perpétrée, sous Khomeiny, de l’ambassade américaine à Téhéran.

Personne n’a relevé la ressemblance entre ces deux actes qui foulent aux pieds une convention internationale largement approuvée par tous les pays sur l’immunité de la représentation diplomatique d’un Etat en terre étrangère.

Concernant l’ambassade américaine, il faut se rappeler que les Iraniens venaient de renverser le pouvoir pro-américain des Pahlavi et un mur de haine séparait les Iraniens des Etats-Unis considérés à juste titre comme soutien inconditionnel du régime dictatorial et tortionnaire du Chah d’Iran. Mais, Mehdi Bazargan, représentant pro-occidental de l’aile démocrate-religieuse de la bourgeoisie iranienne, devenu premier ministre de Khomeiny, avait hâte de tourner la page sans régler les contentieux qui opposaient l’Iran à l’Occident, en particulier les Etats-Unis.

L’occupation de l’ambassade américaine, organisée par la fraction radicale du clergé chiite, avait pour objectif d’évincer l’aile laïque du pouvoir, de reprendre le contrôle de l’Etat et de couper court aux pourparlers qui se déroulaient en Algérie entre le gouvernement de Bazargan et les Etats-Unis.

Depuis, la fraction fondamentaliste du clergé chiite qui s’est mobilisée sous la houlette de Khamenei, a mis la main sur tous les rouages de l’Etat iranien et une grande partie de la richesse nationale, en écartant méthodiquement les autres fractions du clergé et les laïcs du pouvoir. Une fraction importante des gardiens de la révolution, mobilisée autour de l’organisation militaro-industrialo-sécuritaire de «Khatam-ol anbia», fait partie du cercle restreint du sommet de l’Etat.

Mais l’unité de façade ne doit pas cacher la lutte de clan qui fait rage au sein des fondamentalistes au pouvoir et divisés en clans.

Il faut rappeler que depuis la victoire de la révolution de 1979, l’établissement de relations diplomatiques et économiques normales avec l’Occident est une constante de la bourgeoisie iranienne.

Un clan au pouvoir a-t-il tenté une nouvelle fois de se rapprocher de l’Occident ? Les embargos pèsent lourdement sur l’organisation industrielle et technologique de l’Iran. Les industriels ne cachent plus leur amertume. Même le complexe militaro-industriel souffre des embargos. L’approvisionnement en capitaux et en pièces détachées devient de plus en plus problématique et coûteux.

Concrètement, quel clan de l’Etat se cache-t-il derrière le rapprochement avec l’Occident ? S’agit-t-il d’un clan suffisamment puissant pour ne pas être la cible des radicaux qui n’osent pas l’attaquer de front ?

Malgré la fermeture de l’ambassade britannique à Téhéran, Londres n’est pas allé jusqu’à couper ses relations diplomatiques avec l’Iran, conscient comme l’écrit le Times, «que l’Iran est un pays difficile mais qui reste extrêmement important» (Marc Roche- Le Monde du 03/12/2011).

Ces propos prouvent que le rapprochement de l’Iran avec l’Occident est crucial pour les deux camps. Si un tel rapprochement a lieu, la physionomie du Moyen-Orient serait radicalement modifiée.