22.2.11

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 21 février 2011

cpjmo@yahoo.fr

Le soleil se lève au Maghreb

Au Moyen-âge, par l’intermédiaire d’organes de propagande de nature religieuse, les classes dominantes diffusaient des superstitions selon lesquelles l’Etat était une institution divine et le roi un envoyé des puissances célestes. L’objectif était de protéger les riches et leur roi de la colère des masses exploitées, miséreuses et souvent humiliées.

La sociologie moderne balaie ce genre de superstition et déclare que l’Etat est un instrument de domination d’une classe sur les autres classes ou couches sociales.

Pourtant, dans certains pays, la superstition- pour ne pas dire la supercherie- moyenâgeuse continue de plus belle. Au Maroc, le roi se dit descendant du prophète Mahomet. En Egypte, le raïs caressait le nationalisme de l’homme de la rue et se faisait passer pour descendant des Pharaons. En Iran, le guide de la révolution, Khamenei, délégitimé par la fraude électorale et par la contestation sociale, se fait passer pour le représentant de «l’imam caché».

Pourtant, les soi-disant représentants des forces de l’au-delà instaurent des régimes dictatoriaux, voire sanguinaires, qui leur permettent de s’enrichir sans vergogne, et d’ouvrir des comptes bien garnis dans de vrais paradis fiscaux. Le peuple miséreux doit se satisfaire d’un paradis fictif auquel on lui promet qu’il accédera après sa mort.

Voici ce que nous avons écrit dans l’analyse n°30, «Séisme au Maghreb», le 22 avril 2007: «Que dire des jeunes kamikazes marocains qui, selon Ali Amar, directeur de l’hebdomadaire Le journal, «viennent des bidonvilles et sont le produit de la fracture sociale marocaine»(…) Voici ce que dit Amnesty international de l’Egypte, un autre pays «ami» des Etats-Unis, accusé : «d’arrestations arbitraires, de détentions prolongées sans jugement, d’actes de torture et de mauvais traitements.»(…) Algérie, Maroc, Tunisie, Egypte : tous les pays «amis» des Etats-Unis sont menacés d’implosion.»

L’implosion est partie de Tunisie et s’est propagée comme une trainée de poudre à l’Egypte, au Yémen, à l’Algérie, à la Lybie et au Maroc où plusieurs manifestants ont été abattus de sang froid, dimanche 20 février, par la police de «sa majesté», «descendant du prophète». Le fils «moderne» de Kadhafi n’a pas hésité à brandir le spectre d’un bain de sang pour se maintenir au pouvoir.

Pourquoi l’implosion au Maghreb? Là encore, certains journalistes qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez parlent de «révolutions Facebook». Les Révolutions Française de 1789, Russe de 1917 ou Iranienne de 1906 se sont déroulées sans Facebook, un instrument d’information comme d’autres. Pourquoi Facebook ne vient-il pas en aide aux Libyens, aux Algériens, aux Chinois ou aux Marocains? Pourquoi la rue iranienne qui était à la pointe de la transmission des informations par téléphone portable et par Facebook en 2009, n’arrive-t-elle toujours pas à se débarrasser d’une bande mafieuse militaro-millénariste qui fait saigner le peuple?

Le Maghreb est la zone d’influence de l’Occident, conduit par les Etats-Unis. Il reçoit les capitaux financiers occidentaux, la technologie de montage, et fournit la main d’œuvre bon marché et les matières premières. Pour former les cadres nécessaires au fonctionnement des entreprises et des instituts de recherche, l’instruction s’est développée et une classe moyenne s’est crée au Maghreb. C’est cette couche instruite, cette classe moyenne et cette classe ouvrière miséreuse qui demandent la participation à la gestion de la société et un partage équitable de la richesse produite.

A la dictature, au chômage chronique, à la corruption et au népotisme, s’ajoute l’humiliation des nations arabes, surtout égyptienne, dont l’armée a été battue à plusieurs reprises par l’armée israélienne. Depuis la conclusion de la paix israélo-égyptienne en 1979, la région vit sous la domination humiliante des américano-israéliens qui ne cessent de lui dicter leurs desideratas. Un exemple : suite à un accord conclu entre Israël et l’Egypte, mardi 14 décembre 2004, les produits fabriqués dans les «zones industrielles qualifiées» (ZIQ), situées entre Israël et l’Egypte, devront comporter au moins 11,2% de composants israéliens. (Le Monde du 16/12/2004).

Si le peuple a réussi à faire sauter un verrou en Tunisie et en Egypte, l’essentiel, c’est-à-dire la construction d’un vrai pays souverain et d’une société de droit et démocratique, reste à faire. La route est encore semée d’embûches. Les possédants ne lâchent pas facilement le pouvoir. Ils ont la police, l’armée, savent faire la guerre, détruire et tuer. Bref, ils ont beaucoup d’expériences d’Etat. D’autant plus qu’ils sont soutenus par les puissances occidentales dont les «conseillers» sont déjà sur place pour contenir la révolte des opprimés et sauver la chasse gardée de l’Occident. Pour combien de temps?

Mais, nous sommes sûrs que le Soleil qui s’est levé au Maghreb ne semble pas vouloir s’éteindre de sitôt. Allez le Maghreb !

6.2.11

Analyse 3 (2011)

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 06 février 2011

cpjmo@yahoo.fr

Tunisie, Égypte: la réforme ou la révolution?

Les leçons de l’Iran

(Analyse publiée dans les Dernières Nouvelles d'Alsace (DNA) du 08 février 2011)


Le séisme qui secoue la Tunisie et l’Egypte conduit certains à comparer ce qui se passe dans les dits pays à la situation qui prévalait dans l’Iran du Chah, avant la victoire de la révolution islamique de 1979.

Il y a bien des traits communs entre les pays du Maghreb et l’Iran du Chah : la domination occidentale par l’économique et le politique, l’absence de souveraineté, un régime dictatorial, la répression de l’opposition. L’Histoire nous apprendra si la ressemblance s’arrête là?

Sous la présidence de Jimmy Carter (1977-1981), l’Amérique, après sa défait humiliante au Vietnam, est entré dans une période de «convalescence», caractérisée par une «nouvelle pratique de sa diplomatie». En effet, pour combattre l’offensive des Soviétiques grignotant la zone d’influence américaine, Carter lança sa fameuse «lutte pour les droits de l’homme».

Le Chah d’Iran était, quant à lui, à l’apogée de sa puissance. Les mouvements de résistance armés se faisaient écraser et les prisons étaient remplies d’opposants, en majorité laïcs. L’opposition religieuse était inaudible.

Pourtant, ce qui restait de l’opposition, les représentants de la bourgeoisie modérée, qui se contentaient de demander l’application de la Constitution issue de la révolution constitutionnelle de 1906, saisit la balle au bond en réclamant l’application des droits de l’homme. En même temps les écrivains et des poètes se réveillaient en organisant des soirées de poésie à…l’institut Goethe de Téhéran, en toute sécurité. On connait la suite.

Le mouvement démocratique en Iran est une suite logique de la révolution démocratique et anticolonialiste de 1906. Ce mouvement avait pour vocation de se poursuivre tant que les objectifs de la révolution n’auraient pas été atteints: l’indépendance du pays et l’avènement d’une société de droit et pluraliste. C’est la grande différence entre le mouvement démocratique de l’Iran et les mouvements populaires du Maghreb, qui lui, n’a pas connu d’époque révolutionnaire (sauf en Algérie).

La répression féroce du Chah n’a qu’égratigné la puissance du clergé millénaire- représentant d’une fraction importante de la bourgeoisie nationale- qui a réussi à unir la société civile derrière la personnalité charismatique de l’Ayatollah Khomeiny et des mots d’ordre acceptables pour tous : indépendance, liberté, république islamique. Si les Iraniens appréciaient les deux premiers mots d’ordre, ils ne savait rien sur le troisième : république islamique. Ils se disait «ça ne peut pas être pire que le régime du Chah» ! On connait la suite.

Le mouvement populaire déclenché sous le Chah visait, ni plus ni moins, les bases du régime proaméricain. Toute personne saisissant la «main tendue» du Chah était immédiatement discréditée. Tel a été le cas de Chapour Bakhtiar, ultime premier ministre du Chah, membre du «Front national» de feu Mossadegh.

En Tunisie et en Egypte, aucune force et personnalité n’est en mesure d’unifier toutes les couches de la population. Les régimes en place ne sont pas menacés. Ben Ali est parti, mais son clan et l’armée sont toujours en place. C’est également le cas en Egypte où l’armée, soutien du régime et des multinationales, a gardé sa popularité.

Le message est reçu cinq sur cinq par les chancellerie occidentales qui souhaitent des «transitions réussies vers des modèles aussi pluralistes et démocratiques que possible»(1), permettant aux pays du Maghreb de maintenir «une ligne pro-occidentale en politique étrangère(1)

Peter Harling, directeur des activités de l’International Crisis Group en Irak, en Syrie et au Liban, suggère que le remplacement des dictateurs tunisien et égyptien par un «régime démocratique» ne changera rien au fond du problème : retard de développement, humiliation associée à la suprématie militaire israélienne, dépendance du Maghreb vis-à-vis de l’Occident, colonisation de la Palestine, encerclement de la bande de Gaza, «processus de paix» factice, etc.

«La pente est glissante vers une restauration, sous une forme ou sous une autre, du statut quo.»(1) Qui dit «statut quo» dit maintien en place des régimes pro-occidentaux au Maghreb, suprématie des Etats-Unis et d’Israël au Proche et au Moyen-Orient.

Peter Harling est conscient de la duplicité occidentale. Selon lui «Et si les courageux peuples tunisiens et égyptiens optaient pour des postures nationales contraires aux visées occidentales, que diront alors Washington et Paris?» Ils enverront leurs porte- avions et autres navires de guerre au large de la Tunisie et de l’Egypte.

Pour éviter que les peuples tunisien et égyptien en arrivent, comme en Iran, à «opter pour des postures contraires aux visées occidentales», Washington et Paris se sont prononcés pour le départ des autocrates de Tunisie et d’Egypte.

Lorsque le Chah a quitté l’Iran, son régime s’est effondré. Le départ de Ben Ali n’a pas été suivi de l’effondrement du régime tunisien. Le départ éventuel de Moubarak ne sera pas suivi, non plus, de l’effondrement du régime égyptien. L’Occident a encore de beaux jours en perspective au Maghreb.

Une chose est sûre : les peuples tunisien et égyptien ont fait sauter un verrou et n’ont pas dit leur dernier mot. Le mouvement continue en Tunisie et il ne s’arrête pas en Egypte. Il est permis de croire à la poursuite des insurrections populaires et à leur transformation en mouvements révolutionnaires. Même si le chemin à parcourir est encore très long.

1- (1) Peter Harling, directeur des activités de l’International Crisis Group en Irak, en Syrie et au Liban- Le Monde du 05 février 2011.