29.3.10

Analyse 4 (2010)

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 28 mars 2010


cpjmo@yahoo.fr


Le grand marchandage régional



Qui sont les gagnants et les perdants?


►Le sort de la Palestine se joue-t-il en Afghanistan ?


Comme nous l’avons écrit dans la précédente analyse (Analyse 3 (2010)), l’Iran et les Etats-Unis négocient en ce moment même le partage des zones d’influence au Moyen-Orient. Pourquoi ces négociations? Après la conquête militaire, vient l’ère de la «conquête des cœurs et des esprits» selon la terminologie employée par les colonialistes. Depuis la nuit des temps, ils s’emploient à appliquer la méthode bien rodée de «diviser pour mieux régner». Grâce à la complicité de l’Iran, cette méthode a donné des résultats en Irak. Pourquoi pas en Afghanistan où, pour s’armer et se financer, les résistants dépendent des voisins, de leur largesse et de leurs voies de communication. Le pouvoir Pakistanais- du moins une partie- étant divisé, il s’emploie à combattre les résistants alors qu’il les soutenait auparavant.


En ce qui concerne l’Iran, en raison de ses désaccords avec l’Occident, il serait logique qu’il soutienne des fractions de la résistance afghane qu’il pourrait armer, loger, former et même financer. Pourrait-il en être autrement, lorsque des centaines de milliers de militaires ennemis, arrivés des quatre coins du monde, équipés de la technologie la plus avancée et armés jusqu’aux dents, encerclent hermétiquement l’Iran?


L’administration Bush, qui fut à l’initiative de la conquête de l’Irak et de l’Afghanistan, s’est rendu compte qu’elle ne pouvait pas gérer ses conquêtes à coup de fusil. Selon les chiffres officiels, plus de 4000 militaires américains ont perdu la vie en Irak. Par ailleurs, selon certaine estimation, le coût financier de la guerre a atteint près de 7000 milliards de dollars. Le responsable du désastre irakien fut vite identifié: la politique «unilatéraliste» de Georges Bush. A la surprise générale, la secrétaire américaine à la défense de l’époque, Condoleezza Rice, annonçait le mardi 27 février 2007, la tenue d’une conférence internationale destinée à discuter des moyens de garantir la stabilité politique de l’Irak au cours de laquelle l’Iran et la Syrie furent, en quelque sorte, les vedettes de cette conférence (Communiqué 23 du 4 mars 2007).


Le 27 février 2007 marque le début d’un virage qui a conduit à l’abandon de ladite politique et au début de la politique «multilatéraliste» poursuivie par Barack Obama.


Nous ne sommes pas en mesure de connaître les détails du donnant-donnant entre les Etats-Unis d’une part et l’Iran et la Syrie d’autre part. Toujours est-il que le calme relatif qui règne en Irak ne serait pas possible sans l’aide de l’Iran et de la Syrie.


Le même phénomène se répète actuellement en Afghanistan, où la guerre colonialiste engloutit une somme colossale du budget américain. Par Hamid Karzaï interposé, les Etats-Unis sollicitent l’aide de l’Iran pour affaiblir l’insurrection afghane. Le 10 mars, Ahmadinejad s’est rendu en Afghanistan. Là encore, il est difficile de connaître les détails du donnant- donnant américano-iranien. Mais, Ahmadinejad a obtenu deux promesses : primo, l’Afghanistan ne sera pas utilisé comme base de lancement d’une agression contre l’Iran et, secundo, en cas d’arrêt de l’insurrection, l’armée américaine quittera la région.


Douze jours plus tard, le 22 mars 2010, Hamid Karzaï a rencontré «une délégation du Hezb-e-Islam, le second mouvement d’insurgés islamistes après les talibans, dirigé par Gulbuddin Hekmatyar» (Le Monde du 24 mars 2010), soutenu par l’Iran.


Tout porte à croire que l’administration Obama a tourné définitivement la page de la politique «unilatéraliste» de George Bush. En effet, consciente du rôle incontournable du Pakistan en Afghanistan, l’administration Obama commence à choyer les dirigeants pakistanais que l’administration Bush avait délaissés au profit de l’Inde.


Toujours à la date du 22 mars, une délégation de haut niveau, composée du général Kayani, chef d’état major de l’armée pakistanaise, et du général Shuja Pasha, chef des services secrets (ISI) «dont les liens historiques avec les talibans afghans sont notoires», s’est rendue à Washington, pour une semaine de «dialogue stratégique» (Le Monde du 25 mars 2010).


L’Inde, force de frappe de la politique unilatéraliste de Georges Bush en Asie du sud, est l’un des perdants «des grandes manœuvres militaires et diplomatiques autour d’une sortie de crise en Afghanistan» (Frédéric Bobin- Le Monde du 25 mars 2010).


Après l’Irak, le Liban sud et l’Afghanistan, les pourparlers se concentrent actuellement sur la Palestine. En échange des services rendus en Irak et en Afghanistan, l’Iran et la Syrie ont-ils obtenu des «compensations» en Palestine? La présence d’une délégation de haut rang du Hamas à Téhéran, la détérioration des relations américano-israéliennes et la prise de position récente de la Turquie et des pays arabo-musulmans du Moyen-Orient sur Jérusalem, laissent la voie ouverte à certaines hypothèses. Il n’est pas faux de dire que le sort de la Palestine se joue en Afghanistan, pièce maitresse de la domination planétaire des États-Unis.


Une chose est sûre : la politique «unilatéraliste» pratiquée encore par Israël n’arrange plus les intérêts des États-Unis. En effet, selon le secrétaire à la défense, Robert Gates, l’absence de progrès dans le processus de paix «sape les intérêts américains en matière de sécurité nationale». (Laurent Zecchini- Le Monde du 27 mars 2010).


Israël sera le deuxième perdant «des grandes manœuvres militaires et diplomatiques autour d’une sortie de crise en Afghanistan». C’est très dur pour les faucons de l’AIPAC(1) et de l’extrême droite israélienne au pouvoir de perdre le statut de «Grande puissance» régionale au Moyen-Orient. Le changement de l’attitude israélienne dépendra de celle de l’AIPAC.


En attendant, les tensions montent d’un cran en Israël et au Moyen-Orient. Israël négociera âprement son alignement sur les positions américaines. Sera-t-il tenté de livrer un baroud d’honneur, en déclenchant une nouvelle guerre au Moyen-Orient?


De leur côté, les Américains continuent d’exercer des pressions sur l’Iran, sans vouloir l’étouffer définitivement. La «sécurité nationale» des États-Unis a besoin d’un Iran puissant, en mesure d’agir en Irak, en Afghanistan et au Moyen-Orient, en faveur des intérêts américains. A quand le rétablissement de relations diplomatiques entre l’Iran et les Etats-Unis?


(1) L’American Israel Public Affairs Committee, le lobby pro-israélien à Washington

11.3.10

Analyse 3 (2010)

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 11 mars 2010


cpjmo@yahoo.fr


Occident- Iran :


bataille pour des zones d’influence



Invectives, blocus en tout genre et menaces militaires : tout porte à croire que le torchon brûle entre l’Occident, en particulier les États-Unis, la France, la Grande Bretagne, l’Allemagne, d’une part et l’Iran, d’autre part.



Comme nous l’avons développé dans nos analyses, avec la Russie, la Chine et l’Inde, l’Iran fait partie de ces quatre puissances euro-asiatiques qui occupent des positions géostratégiques sur les routes maritimes et terrestres en Asie, en Asie centrale, au Moyen-Orient et dans l’Océan indien.


L’Occident, puissance mondiale depuis deux siècles et dirigé actuellement par les Etats-Unis, cherche tous les moyens pour perpétuer sa domination planétaire. Cette domination n’est possible que si les adversaires hostiles sont, soit réduits au silence et neutralisés par des pressions militaires, diplomatiques et économiques, soit intégrés dans le «système» par différentes émulations. Au passage, lesdits adversaires perdent quelques plumes de leurs souverainetés politiques et économiques.


Après l’écroulement de l’Union soviétique, l’Inde a été lentement «intégrée». Son arsenal nucléaire et sa marine assurent actuellement la «sécurité» des voies de communication dans l’Océan indien et en mer d’Oman. A l’été 2006, les navires de guerre indiens ont été envoyés au Moyen-Orient pour participer au blocus des côtes libanaises. La confiance règne !


De son côté, la Chine, liée stratégiquement aux États-Unis et au monde occidental, a été également «apprivoisée» ; elle s’est transformée en «atelier du monde» et finance le déficit colossal américain. Des liens économiques très puissants la lient à la finance mondiale, dominée par l’Occident.


Quant à la Russie, la présence de bases militaires américaines en Europe de l’est et en Asie centrale montre bien que son «espace vital» se réduit comme une peau de chagrin, pire qu’avant la révolution bolchévique de 1917, époque où la Russie dominait encore cette contrée. De plus, comme le Japon, la Corée du sud et la Chine, la Russie est devenue acheteur de bons du trésor américain.


Il est à souligner qu’«apprivoiser» les adversaires ne signifie guère la disparition des antagonismes qui surgissent à la moindre occasion. En diplomatie, la confiance absolue n’existe pas.


Reste l’Iran qui occupe une position très stratégique au Moyen-Orient. Cette puissance «endormie» depuis deux siècles, vient de se réveiller depuis la révolution de 1979. Son influence s’étend depuis les frontières chinoises jusqu’au Liban, situé sur la rive est de la Méditerranée. Ses réseaux d’influence au Liban, en Irak, en Afghanistan et dans les pays d’Asie centrale et les pays arabes du Golfe persique en font un redoutable adversaire. Le retrait des troupes américaines d’Irak est tributaire de la coopération avec l’Iran. En effet, les différents groupes de résistance, en particulier ceux chiites, écoutent Téhéran, qui cogère, de fait, l’Irak avec les États-Unis.


Le même phénomène s’observe en Afghanistan où l’influence de l’Iran parmi différentes ethnies, en particulier persanophones, et groupes de résistance, est indéniable. Les dirigeants pakistanais et afghans sollicitent les États-Unis pour collaborer avec Téhéran, qui a déjà investi des centaines de millions de dollars à l’ouest de l’Afghanistan, devenu le marché des produits iraniens.


De surcroit, l’Iran occupe une position stratégique au nord du détroit d’Ormuz, par où transite plus de 14 millions de barils de pétrole par jour.


Entre l’Occident et l’Iran rebelle, les tensions pour des zones d’influence sont très vives. Tout porte à croire que les États-Unis et l’Iran se sont entendus sur la zone d’influence iranienne en Irak, dont le marché regorge de produits iraniens. Reste l’Afghanistan, le Golfe persique et l’est de la Méditerranée (La Syrie, le Liban et la Palestine).


Malgré la présence massive de la marine occidentale et iranienne dans le Golfe persique, les deux parties semblent adopter une position qui consiste à éviter les tensions ou les affrontements armés. En effet, ce sont les économies iranienne et mondiale qui en souffriraient considérablement.


La Syrie et l’Iran sont liés stratégiquement. La Syrie est devenue le marché des produits industriels et militaires iraniens, dont les missiles, qui ont montré leur efficacité lors de la guerre du Liban à l’été 2006. Le Hezbollah libanais, un État dans l'État libanais, équipé de matériels de guerre et de financement iraniens, a montré sa solidité depuis la guerre de l’été 2006. Il est désormais le vecteur d’influence de l’Iran au nord d’Israël.


L’armée israélienne, incapable de gagner contre des milices comme le Hezbollah ou le Hamas, ne semble plus en mesure de mener une guerre d’envergure contre la Syrie ou l’Iran, aux conséquences incalculables.


Le rapprochement de la majorité libanaise du Hezbollah et de la Syrie, l’éloignement de la Turquie d’Israël et l’arrivée d’un ambassadeur américain à Damas sont autant d’indices qui révèlent que la situation a changé au Moyen-Orient. En effet, ce ne sont pas la Syrie ou le Hezbollah libanais qui ont changé de politique. Mais bien les États-Unis et leurs soutiens libanais (la majorité libanaise) qui ont pris le virage du changement de rapports de force qui s’imposait. Autrement dit, les États-Unis et leurs alliés européens ont fini par accepter qu’ils ne sont plus maîtres absolus de la région et qu’ils doivent respecter le rôle et la zone d’influence de l’Iran et de la Syrie à l’est de la Méditerranée.


Quoi qu’il en soit, l’affaiblissement et le discrédit mondial américains ont conduit les États-Unis à chercher le soutien de la Syrie et surtout de l’Iran en Irak et bientôt en Afghanistan. Actuellement, la coopération des États-Unis avec l’Iran et la Syrie prime sur un affrontement militaire. Une modification de la donne politique en Palestine semble indispensable.


Israël et ses soutiens va-t-en guerre américains ne semblent pas avoir accepté la modification des rapports de force au Moyen-Orient. Pour cacher sa mauvaise foi et continuer la colonisation de la Cisjordanie, Israël agite le danger du nucléaire iranien. Il poursuit la même politique que celle qu’il poursuivait sous l’administration Bush. Arrivera-t-il à prendre ce virage sous l’administration Obama, dont les intérêts stratégiques diffèrent de ceux d’Israël ?


L’intransigeance israélienne, appuyée par l’aile la plus réactionnaire et militariste de la bourgeoisie américaine, renferme les germes d’un nouveau conflit au Moyen-Orient.