27.7.08

Le Liban, le Golfe Persique et l'UPM

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 27 juillet 2008

cpjmo@yahoo.fr

Le Liban, le Golfe persique et l'UPM

Mercredi 9 et jeudi 10 juillet 2008, le monde a assisté, perplexe, aux manœuvres militaires dans le Golfe persique. L'on voyait, d'un côté, les navires de guerre américains, britanniques et bahreïni y manœuvrer et, de l'autre côté, l'Iran procéder à des tirs de missiles de courte et de longue portée, pouvant atteindre Israël qui, à son tour, venait de procéder à des manœuvres en Méditerranée, dans le but de préparer son aviation à une attaque préventive contre les installations nucléaires iraniennes.

Pourquoi cette montée soudaine de fièvre? Quel changement s'était-il produit dans les rapports de force régionale et mondiale, nécessitant de telles démonstrations de force?

En Afghanistan, en Irak et en Palestine, c'est pratiquement le statut quo et les lignes militaires et politiques ne bougent presque pas. La résistance anticolonialiste en Afghanistan et en Irak n'arrive pas à modifier substantiellement la donne en sa faveur. En Palestine, face à l'inertie de l'Autorité palestinienne, le grignotage des territoires de la Cisjordanie continue et la résistance palestinienne reste confinée essentiellement, pour l'instant, à la bande de Gaza, encerclée par l'armée israélienne et dans quelques points de résistance en Cisjordanie.

Le Liban est le seul pays où les lignes militaires et politiques bougent en permanence. Le départ des troupes syriennes laissa un vide qui fut vite comblé par l'opposition libanaise, menée par le Hezbollah, formé, entraîné et armé par l'Iran. L'échec de l'agression d'Israël de l'été 2006, donna un rôle prépondérant à l'opposition qui finit par obtenir une minorité de blocage au sein du nouveau gouvernement. Les tractations pour la formation du gouvernement conduisirent le clan Hariri, soutenu par l'Occident, à bloquer sa formation. A en croire la presse, le blocage tournait autour de la nomination d'Ali Qanso, "l'ex- président du Parti national social syrien", membre de l'opposition. La situation est sûrement plus complexe.

En effet, le Liban fait partie d'un vaste champ de bataille, s'étendant des frontières chinoises à l'est de la Méditerranée. Il serait donc erroné de limiter l'affrontement entre le clan Hariri et l'opposition à une affaire strictement libano- libanaise. Le moindre mouvement à un quelconque endroit a des répercussions sur toute la région.

Les affrontements sporadiques entre le clan Hariri et l'opposition, et les manœuvres militaires dans le Golfe persique poursuivaient un seul et unique objectif: intimider l'opposition et ses alliés pour marquer un maximum de points au sein du gouvernement en formation. Face à la détermination de l'opposition et de ses alliés, le clan Hariri et ses amis occidentaux ont dû battre en retraite. Autrement dit, les accrochages militaires opposant le clan Hariri à l'opposition et les tirs de missiles iraniens des 9 et 10 juillet ont débloqué la situation au Liban, dont la formation définitive du gouvernement fut annoncée le 11 juillet! Depuis l'été 2006, c'est la troisième victoire de l'opposition.

Selon Mouna Naïm, journaliste au Monde, le prix à payer [pour la formation du nouveau gouvernement] fut pour la majorité parlementaire une série de renoncements. Toujours selon la journaliste, "Saad Hariri a "sacrifié" certains de ses proches, tout en persuadant ses amis de la majorité d'en faire autant (...) Le premier ministre, Fouad Siniora, a renoncé de son côté au veto qu'il opposait au prosyrien Ali Qanso" (Le Monde du 13-14/07/08).

Les événements du Liban révèlent la nature exacte du caractère "pragmatique" des colonialistes et affidés: ceux-ci manquent de vision à long terme, n'agissent qu'en fonction de leurs intérêts à très courte échéance et des rapports de forces militaires sur le terrain. Toujours est-il que la présence d'un émissaire américain samedi 19 juillet à Genève, pour participer à des discussions avec l'Iran, montre, une fois de plus, que dans cette partie du monde, les rapports de forces évoluent en faveur des anticolonialistes. En effet, jusque là, l'administration Bush expliquait qu'elle ne s'impliquerait dans aucune "pré-négociation" tant que l'Iran n'aurait pas suspendu son programme d'enrichissement d'uranium.

Pour l'instant, il n'y a pas de "téléphone rouge" entre Washington et Téhéran. C'est Javier Solana, chef de la diplomatie européenne, qui joue le rôle de monsieur "bons offices" entre les deux capitales, qui déplacent leurs "pièces" sur l'échiquier du Moyen-Orient. A quand le prochain clash?

Les contacts entre Israël et la Syrie par l'entremise de la Turquie, le rapprochement franco- syrien, ou le lancement de l'"Union Pour la Méditerranée" (UPM), se doivent d'être analysés à l'aune des rapports de forces militaires et diplomatiques, en perpétuel mouvement, dans la région et dans le monde. En effet, lorsque la Syrie était maître du Liban, la France de Chirac, "amie" du clan Hariri, avait rompu ses relations avec elle. Après le départ des troupes syriennes, la montée en puissance de l'opposition, donc de l'influence iranienne, et l'échec militaire de l'agression israélienne de l'été 2006, la France de Sarkozy rétablit ses relations avec la Syrie, dans le but de former un "front" avec ce pays, afin de combattre l'influence de l'opposition et de son allié iranien au Liban.

Que propose la France à la Syrie, en échange de sa collaboration? Officiellement, rien que des promesses et des propositions pour dépolluer la Méditerranée, dans le cadre de l'UPM! Mais, silence sur la restitution du plateau du Golan, sur l'assurance donnée quant à la sécurité exigée par l'Etat syrien, sur le partage des eaux, etc. Par contre, nul n'est au courant des clauses secrètes du tête-à-tête "franc et loyal", entre Nicolas Sarkozy et Bachar Al-Assad.

Question: puisque les rapports de forces militaires lui sont favorables, pourquoi Israël céderait-il à la demande de la Syrie et du Palestinien Mahmoud Abbas? Dans ces conditions, quel serait l'intérêt de la Syrie de se détourner de ses alliés iranien et libanais? Autant de questions, et des réponses en filigrane, qui esquissent les contours d'un échec des initiatives françaises au Liban et en Palestine.

L'UPM pourrait, peut-être, fonctionner comme un nouvel espace économique, voire un forum de discussion. De là à lui conférer un rôle politique, surtout au Moyen-Orient, c'est aller vite en besogne.

7.7.08

Analyse 15

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 07 juillet 2008

cpjmo@yahoo.fr

La bataille du Liban


Les États-Unis, la France et le clan Hariri bloquent la formation d'un Etat souverain et fort au nord d'Israël


Dans l'objectif de (re)mettre la main sur le Liban, fief traditionnel français, les Etats-Unis et la France se sont ligués aux Nations unies et, agissant au nom de la "communauté internationale", ont réussi à faire adopter par le Conseil de sécurité la résolution 1559, intimant à la Syrie l'ordre de retirer ses troupes du Liban. Ils avaient un soutien de taille: le clan Hariri, richissime famille, liée aux milieux financiers mondiaux et ayant de solides soutiens politiques en Arabie saoudite, aux États-Unis et en France. Mais, ils avaient oublié que les temps ont changé et que le Liban compte désormais une opposition anticolonialiste, armée et entrainée.

La question était de savoir comment la "communauté internationale", soutenue par le clan Hariri-Siniora-Joumblatt, allait se débarrasser de l'opposition libanaise? La mission d'élimination incomba à l'armée israélienne qui, à l'été 2006, entra en action dans le but de "briser la colonne vertébrale militaire du Hezbollah" (Shlomo Ben Ami, ancien ministre des affaires étrangères d'Israël- Le Monde du 12/08/06).

Pour justifier son agression contre le Liban, Israël a prétexté la capture de deux soldats israéliens par le Hezbollah. Cependant, le magazine américain The New Yorker affirmait que le gouvernement américain "était très impliqué dans le plan israélien contre le Hezbollah, avant même la capture le 12 juillet de deux soldats israéliens", par le mouvement chiite libanais.

On connaît la suite: après 34 jours de guerre de destruction, l'armée israélienne, incapable d'atteindre ses objectifs, a battu en retraite. L'opposition libanaise est sortie grandie de cette guerre qui a modifié profondément les rapports de force au Liban et dans la région. En effet, cette défaite s'ajoutait à l'incapacité des Etats-Unis à venir à bout de la résistance en Irak et en Afghanistan.

Partant de cette évidence, l'opposition a exigé plus de poids au sein du gouvernement libanais. Elle s'est heurtée à un refus catégorique de ses adversaires du clan Hariri-Siniora-Joumblatt, qui ont préféré le blocage des institutions du pays pendant un an et demi, plutôt que de partager le pouvoir avec l'opposition.

Il fallut attendre le 7 mai 2008 et un clash militaire et la victoire de l'opposition, pour que ses propositions soient prises en compte. En effet, pour résoudre la crise libanaise, la feuille de route de la Ligue arabe (favorable au clan Hariri) fut remplacée par l'accord de Doha (Qatar). La feuille de route stipule qu'aucun des deux camps ne disposerait du pouvoir d'imposer ou de bloquer une décision gouvernementale. L'accord de Doha obligea le clan Hariri-Siniora- Joumblatt de céder aux exigences de l'opposition à disposer d'une minorité de blocage.

La conférence de Doha signa la perte d'initiative du camp occidental au Liban. Pour reprendre l'initiative, N. Sarkozy envoya rapidement son ministre des affaires étrangères au Liban et lui- même se rendit le 7 juin à Beyrouth. De son côté, Condoleezza Rice a manifesté sa satisfaction de l'élection du nouveau président libanais. Ainsi, les responsables politiques occidentaux ont réitéré leur appui inconditionnel au clan Hariri-Siniora-Joumblatt, qui, en retour, a bloqué la formation du gouvernement libanais.

La constitution d'un tel gouvernement, si les portefeuilles stratégiques (intérieur, défense, affaires étrangères et finances) tombaient, en partie, entre les mains de l'opposition, signifierait le partage du pouvoir avec l'opposition, conduisant, à terme, à la "perte" du Liban pour l'Occident. Idée, ô combien répugnante pour les Américano- Français, qui ne veulent pas d'un Etat souverain, stable, fort et hostile au nord d'Israël.

Dès lors, deux options s'offrent au clan Hariri-Siniora-Joumblatt et à leurs "amis" occidentaux: d'une part, aller au clash et régler la question du pouvoir par la force. Du fait de leur affaiblissement politique et militaire, le clan Hariri et les Etats-Unis semblent écarter cette option; d'autre part, dialoguer avec l'opposition et ses amis (Iran, Syrie). Une ébauche de rapprochement franco- syrien et les contacts américano-iraniens laissent à penser que, pour l'instant, l'Occident privilégie la deuxième option.

L'avenir nous dira si l'on se dirige vers le scénario suivant: le clan Hariri conserverait les portefeuilles stratégiques, l'opposition se satisferait de sa minorité de blocage et l'Occident accepterait les conséquences du nouveau rapport de forces à l'échelle régionale (céder à certaines exigences de Damas et de Téhéran).

Il est à souligner que, parallèlement au blocage de la formation du nouveau gouvernement libanais, la diplomatie américano- française s'est déployée dans deux autres directions:

- manœuvres d'intimidation (sans conséquences sur la détermination du camp anticolonialiste), consistant à répandre, sur le net et dans les journaux, des rumeurs (savamment répandues par l'intermédiaire de Seymour Hersh, journaliste américain) sur la préparation d'une agression contre l'Iran, la colonne vertébrale du camp anticolonialiste.

- affaiblir, voire briser l'unité anticolonialiste. L'invitation de Bachar Al-Assad au défilé du 14 juillet, suit une telle logique.

Les Occidentaux (Etats-Unis, France,...) prétendent vouloir aider la Syrie à sortir de son "isolement". De fait, qui est vraiment isolé au Moyen-Orient? A Olmert qui se dit disposé à passer aux négociations directes (un piège de plus) avec Damas, Bachar Al-Assad oppose un refus catégorique. De même, le Liban refuse de négocier directement avec Israël (Le Monde du 20/06/08). Des sondages récents montrent que les peuples du monde ont une opinion très négative des Etats-Unis et d'Israël, qui peut s'enorgueillir pourtant du soutien de Nicolas Sarkozy qui proclama à la Knesset: "Israël n'est pas seul"!

L'hypocrisie des Américano-israéliens est sans limite. Ils parlent de paix, tout en bombardant, massacrant et confisquant des territoires. Journaliste au Monde, Michel Bôle-Richard écrit: "Tony Blair ne sait que répondre lorsqu'on lui apprend que les autorités militaires [israéliennes] viennent de confisquer des terres dans la région de Toubas [Cisjordanie] pour construire une base militaire" (LM du 21/06/08). Selon YEDIOT AHARONOT- cité par Courrier international du 3 au 9 juillet 2008- "Depuis la conférence d'Annapolis, les constructions à Jérusalem-Est n'ont pas cessé, loin de là. (...) Au total 9617 projets d'unités résidentielles dans les quartiers est de la capitale ont été autorisés ou sont en cours d'autorisation".

Nicolas Sarkozy espère pouvoir transformer Bachar Al- Assad en Mahmoud Abbas bis. La situation et les personnages ne sont pas les mêmes. Les efforts de N. Sarkozy sont donc voués à l'échec.

La bataille du Liban s'annonce longue et la formation du futur gouvernement n'en est qu'une étape supplémentaire.